"Le magasin, en tant qu’espace social, apporte davantage qu’un approvisionnement"




Vous expliquez que le centre commercial remplit d’autres fonctions que celles auxquelles nous pensons habituellement. Il joue notamment un rôle social, vous parlez même de lieu d’existence. Ce modèle, que certains considèrent comme condamné, trouvera-t-il un nouveau rôle sur le territoire urbain ?
Oui, sans hésitation. Il s’agit d’un concept commercial qui évolue. Il évolue dans sa forme. On parle aujourd’hui de retail parks, on observe également les transformations des gares parisiennes en centres commerciaux localisés dans les lieux où transitent les individus. Il évolue aussi dans sa composition. A l’échelle de la planète, en Chine, au Moyen Orient ou en Thaïlande, la démesure est la norme. Le divertissement et l’extraordinaire sont les leviers de leur attractivité. Chez nous, l’implantation actuelle de salles de sport, de salles d’escalade, de cinémas, de services médicaux sert à renforcer leur attractivité dans le but de transformer les usagers en clients des boutiques. Longtemps, on a considéré qu’un centre commercial devait accueillir en son sein une « locomotive » pour attirer d’autres marques, locataires des foncières. Et longtemps, cette locomotive a été un hypermarché, puis une grande surface spécialisée comme Ikea. Aujourd’hui, d’autres types de locomotives apparaissent pour un rôle du centre qui s’élargit : consommation mais aussi divertissement, activité sportive et culturelle, santé… Á Sarreguemines, la médiathèque est connectée à une galerie marchande. Á Italie 2 dans le 13e arrondissement de Paris, on y trouve un grand théâtre, une grande salle de sports, un laboratoire médical.

Selon vos observations, un certain nombre de pratiques du commerce physique comme les marchés de plein vent, les vides greniers, les camelots ou la vente en vrac continuent plus que jamais d’attirer les consommateurs. Pouvons-nous en conclure que l’e-commerce, par l’absence de lien social, ne répond que partiellement aux exigences des consommateurs ?
Le e-commerce répond indiscutablement aux exigences des consommateurs, et pas seulement ceux éloignés des magasins. Je constate aussi que le e-commerce n’est pas l’échange déshumanisé que l’on croit. En consacrant un chapitre au Bon Coin, j’examine les liens sociaux construits : les messages pour décrire l’offre, répondre aux interrogations des éventuels clients, négocier les prix, fixer la rencontre… et 80 % des transactions se déroulent lors d’une rencontre physique. D’autres plateformes comme Amazon ont intégré depuis longtemps des espaces où des clients, en chair et en os, évaluent les produits. Je pense aussi aux forums qui contribuent à informer les internautes, à socialiser les échanges marchands par des conseils indépendants. Je n’oppose donc pas les circuits de vente mais il faut reconnaitre que le magasin, en tant qu’espace social, apporte davantage qu’un approvisionnement. D’autres usages lui sont affectés comme celui de faire rencontrer les gens. On n’imagine pas une ville sans commerce.

Vous consacrez plusieurs chapitres à l’importance du service au client, que l’e-commerce ne sait pas remplacer. Mais l’e-commerce n’est -il pas un moyen de transformer le commerce physique vers plus de services, plus de proximité et de valeur ajoutée ?
Je reviens une nouvelle fois au Bon Coin. Sa réussite repose sur l’invention d’un e-commerce de proximité, deux notions apparemment contradictoires. Les échanges marchands produits par cette marketplace sont encastrés dans d’autres types de lien : aider les gens, les débarrasser, leur rendre service. Pour la majorité des autres acteurs du e-commerce, je n’observe pas de telles spécificités. Le commerce de proximité est celui du service. Il y a deux dimensions dans la proximité : la dimension spatiale, la dimension sociale. En rencontrant récemment le dirigeant d’une centrale d’achat opérant pour des supérettes indépendantes, j’ai été étonné de découvrir l’ampleur des services informels rendus par ces commerçants indépendants : livraison de quartier, petits crédits, dépannage, etc. Les nouveaux concepts des distributeurs s’inspirent, avec plus ou moins de réussite, de telles pratiques. Je considère en tout cas que l’avenir du commerce se joue là, dans l’exploitation de l’imaginaire positif de l’épicier.

Propos recueillis par EOL

 
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